Reflexion sur l'Autostop

Petite réflexion au sujet de l'auto-stop, afin de cerner pourquoi la liberté -la vraie- découle automatiquement de sa pratique. Texte rédigé quelques mois après mon retour (peut-être en janvier 2001), non recorrigé et non redéveloppé depuis.

« Tout le monde pense que la liberté c’est faire ce que l’on souhaite. Non, la Liberté c'est ne rien faire, et elle devient totale lorsque la décision devient un fait»

Marcher inlassablement le long des routes, attendre la sensation sonore, preuve de l'arrivée d'un véhicule, se retourner, tendre le pouce, espérer l'arrêt, accepter l'ignorance, s'arrêter pour attendre, encore attendre, toujours attendre.

les andes a dedo: puerto Natales

Le voyage en auto-stop peut-il être qualifié d'ingrat, de déroutant, d'inutile, d'incompatible avec la notion même de voyage? Peut-on qualifier un voyage d'après des critères de patience, d'espérance, d'incertitude, de soumission? D'ailleurs, voyager en auto-stop, est-ce voyager? Soit, la patience est la vertu obligatoire de l'auto-stoppeur, mais qu'engendre-t-elle, qu'apporte-t-elle, comment définit-elle l'aventure de ce vagabond des routes? Le qualificatif le plus perceptible que l'on peut donner au voyage en auto-stop, parmi tous ceux qu'il génère, c'est la LIBERTÉ. La liberté, c'est se détacher de deux contraintes fondamentales et immuables: Le Temps, et l'Espace. Un être est libre, lorsqu'il parvient à s'extraire de ces deux concepts que la nature lui a imposés; chose impossible, vu que la vie elle-même dépend de ces derniers. On peut donc conclure qu'un homme ne peut être libre.

les andes a dedo: Sucre

Pourtant, l'auto-stop procure à celui qu'il le pratique une liberté quasi totale. Faute de s'extraire de ces deux concepts, il en devient totalement ignorant, fini par les oublier, et au final, ces derniers deviennent inexistants à ses yeux.
En effet, l'auto-stoppeur ne maîtrise plus sa destinée, il ne sait pas où il sera à tel moment, il ne sait pas ce que sera sa future position géographique, et il ne sait pas non plus à quel instant il s'y trouvera. Ce n'est pas lui qui décide de la suite spatio-temporelle de son périple vu que c'est l'auto stoppé qui décrète l'instant où l'aventure continue, et que c'est l'auto stoppé encore qui fixe la future position géographique de l'auto-stoppeur. Voyager en auto-stop, c'est donc voyager le plus librement possible, car les questions concernant les déplacements, c'est-à-dire concernant les données géographiques et temporelles n'ont plus lieu d'être posées, vu que ce n'est pas l'auto-stoppeur qui en donne les réponses. Ce dernier se contentant alors d'apprécier et de vivre son aventure de la manière la plus simple qui puisse exister. ​Mais cette liberté fondamentale n'est pas la seule engendrée par l'auto-stop, une autre forme de liberté s'émane d'un tel périple, une liberté plus sensorielle. Voyager en stop, c'est le plus souvent voyager en extérieur (ce fait est réel pour le cas de l'Amérique du Sud), en contact direct avec l'air libre, on devient alors aussi libre que ce dernier. Se déplacer en bus, c'est se retrouver dans un univers confiné, restreint, réduit, souvent suffocant, avec de maigres hublots poussiéreux comme unique ouverture sur l'extérieur.

les andes a dedo: Villarica

Non! le voyage en auto-stop est tout autre, on se déplace à l'arrière d'une camionnette, d'un pick-up, on se retrouve parfois être l'unique cargaison d'un 33 tonnes. Quel plaisir de se retrouver à défier le bitume, les cheveux balayés par la vitesse, le visage glacé par l'air matinal, entendre ses vêtements ballotter au gré des courants. Quoi de plus exaltant que de balayer son regard dans toutes les directions afin d'admirer l'environnement naturel et donc de l'apprécier à son juste titre. Même les voyages de nuit, qui nous empêchent de savourer visuellement les paysages, procurent un plaisir peut-être incomparable. "À fond la caisse", la pupille dirigée vers les cieux, et le spectacle céleste s'offre à nous, spectacle total dû à l'absence d'éclairage urbain, spectacle fixe, noble, immobile malgré notre vitesse de déplacement. Rien de mieux, rien de plus libératif que de voyager en auto-stop. Même si parfois, les déplacements peuvent se résumer au chaos dû à l'état lamentable des routes, le plaisir reste malgré tout présent, car quelle que soit l'ampleur des vibrations, notre contact avec l'environnement naturel reste total, demeure immuable, inaltérable, éternel, indestructible, la maîtrise à l'état pur!!

les andes a dedo: Caviahaue

Mais revenons en à la destinée, ne pas en être maître, c'est être libre, or un auto-stoppeur est un être libre. On sait peut-être d'où on part, mais l'on ne sait pas où on va arriver, vu que cet endroit n'est pas issu d'un choix personnel, mais celui de l'auto-stoppé. Au final, on peut très bien se retrouver au coeur d'une métropole comme au centre de l'unique rue d'un petit village. Il est fort probable que les proportions ne soient pas équitables, mais lorsque cela arrive, se retrouver dans une minuscule bourgade, engendre le plus souvent des rencontres d'une très grande simplicité. En effet, dans ces lieux où résident peut-être 2-300 habitants, la sympathie et la générosité de ces derniers se font rapidement ressentir. De ce fait, on se retrouve très vite au coeur d'un foyer, attablé avec des gens, devenus amis d'un soir, à discuter naturellement, une amitié qui se prolonge jusqu'au petit matin à siroter un café. Ces relations fugitives sont d'autant plus belles qu'elles ne sont sujettes, tout comme celle issue de l'auto-stop, d'aucune capitalisation, ce sont donc des relations sincères, vraies, bien réelles, brèves, mais authentiques. Et seul le voyage en auto-stop peut procurer de tels instants, avec tout autre moyen de déplacement, on traverse ces endroits sans y prêter attention, de manière ignorante. Une ignorance qui engendre la pauvreté d'un voyage. Mais fort heureusement, une ignorance qui n'existe pas pour l'auto-stoppeur qui sait apprécier de tels instants pour leur simplicité et leur sublimité. Eh oui, le voyage de l'auto-stoppeur se veut simple, simple donc sublime.L'auto-stoppeur est donc sujet à une totale liberté, tout du moins, admettons-le. Mais cette liberté a un prix, et ce prix, seule la patience peut en effacer le coût. Attendre, telle est sa seule devise; mais pour combien de temps? L'auto-stoppeur l'ignore, une ignorance supplémentaire qui amplifie son statut d'être libre.

les andes a dedo: Puerto Ibañez

Soit, l'attente peut paraître éternelle, mais la délivrance, elle, sera toujours salvatrice. Ne pas tomber dans le "côté obscur", ne pas se laisser embarquer par le premier car qui passe, mais attendre, attendre. Et le tour viendra, où un être généreux s'arrêtera. Et là, à ce moment-là, le soulagement est tel que le bonheur t'envahit dans l'instant, une joie qui met du temps à se dissiper (le temps de dissipation est proportionnel au temps d'attente sur le bord de la route). Une joie reçue essentiellement comme récompense de cette attente qui a finalement eu raison d'exister. La patience, c'est l'arme secrète de l'auto-stoppeur, un individu non patient ne peut voyager de cette manière et ne peut donc connaître le bonheur que procure cette manière de voyager. La patience, c'est la vertu de l'auto-stoppeur, sa doctrine, sa raison d'être. Une patience qui, dans tous les cas, dans toutes les situations, dans tous les instants, se trouvera justifiée, et ce, quel que soit le lieu où l'on se trouve. À des moments, l'attente ne sera qu'éphémère, les déplacements seront donc plus fluides. Mais à tout instant, cette attente peut changer de statut et passer à l'état d'éternité. Ne pas se laisser piéger par la lassitude, car la lassitude n'est pas un qualificatif du voyage en auto-stop. Jamais le présent ne ressemblera au passé, ne jamais extrapoler le futur par rapport au présent. Voilà la richesse d'un périple, l'imprévisibilité de son contenu.

les andes a dedo: Eduardo Mendoza

Mais d'autres imprévus sont à prendre en compte, les compagnons de route de l'auto-stoppeur. En effet, ce dernier doit-il sélectionner? L'auto-stoppeur, à la vue d'un véhicule à l'horizon, doit-il, suivant l'interprétation qu'il en fait, lever ou non le pouce? La réponse est claire et unique: oui, ou plutôt non! L'auto-stoppeur ne doit pas sélectionner, il doit impérativement lever le pouce, que le véhicule soit un poids lourd ou léger, un quatre ou deux roues, ne contenant qu'un fonctionnaire ou une famille entière, que ses chevaux soient fiscaux ou bien réels. Quoi qu'il en soit, et quelques soit l'instant, l'auto-stoppeur doit lever le pouce. Il ne doit pas s'imaginer le futur vu qu'il a coupé le cordon avec la donnée temporelle, il ne doit pas s'imaginer la réaction d'autrui vu qu'il a décidé d'être libre: il ne doit donc pas sélectionner. Car la sélection est tout autre, ce n'est pas l'auto-stoppeur qui la génère en direction de l'auto-stoppé (ce premier ne doit pas sélectionner), mais l'inverse, c'est l'auto-stoppé qui impose sa sélection envers l'auto-stoppeur. Mais la sélection de l'auto-stoppé n'est pas fonction de l'état apparent de l'auto-stoppeur, elle est plus interne, plus propre à son individualité, elle est fonction de ses qualités personnelles: de sa gentillesse, de sa sympathie, de sa générosité, de sa spontanéité, de son intention et attention. De par cette sélection, que l'on pourrait presque qualifier de naturelle, l'auto-stoppeur ne côtoie finalement que des personnes agréables, vouées à un certain altruisme. Ces rencontres effectuées sur le bord des routes sont donc relationnellement très riches, une richesse qui engendre automatiquement la richesse d'un voyage, et cette richesse ne se retrouve dans aucune autre manière de voyager.

Une patience qui engendre une liberté, une liberté qui engendre une simplicité, une simplicité qui engendre la beauté. Voilà tout, le voyage en auto-stop est un un voyage beau, inutile d'en écrire plus.....